Redevenons les artistes de nos vies 3: faisons un nouveau rêve

12/02/2020

Nous avons expliqué dans les articles précédents le concept chamanique des trois genres de rêves, la naissance du Mitote, le rêve de la planète, et décrit Laputa, le système totalitaire qui est né du Mitote. Cet enseignement chamanique réadapté à notre époque a pour but de délivrer un message optimiste et profond: nous pouvons tout transformer car nous sommes les créateurs de notre réalité. Le Mitote comme Laputa peuvent disparaître par une simple révolution intérieure, par notre éveil. C'est là le sens du titre de mon livre La Révolution du Coeur. Le chaman toltèque Don Miguel Ruiz disait: "La vie n'est qu'un rêve, et si nous sommes des artistes, nous pouvons alors créer notre vie avec Amour, et notre rêve devient un chef d'oeuvre artistique" . La Révolution ne peut pas passer par des élites ou un gouvernement ou un quelconque sauveur extérieur car le véritable sauveur est en chacun d'entre nous. Nous sommes Maitreya. Nous sommes celles et ceux qui bâtiront le monde de demain.

1."A esprit libre, Univers libre"

La philosophie et les bases de cette révolution spirituelle tiennent en un koan zen, une petite phrase: "à esprit libre, Univers libre". Puisque nous sommes créateurs de notre vie, de notre réalité, il suffit de libérer notre esprit pour que la réalité que nous créons ne soit plus une réalité de souffrance. Cela relève du bon sens: on ne peut établir la paix autour de soi si nous cultivons encore en nous la colère et la rancoeur. Comment libérer son esprit? Léo Ferré dans son livre La Méthode propose, d'une façon à la fois provocatrice et très sérieuse, deux pratiques qu'il ne décrit pas pour forcer notre mental à lâcher : "casser l'ordre" et "casser le désordre".

Casser l'ordre ne signifie pas opter pour l'insurrection et la violence rebelle (même si la survie peut imposer de se défendre). Casser l'ordre signifie mettre fin à l'ordre établi dans notre réalité de souffrance, mettre fin à la dictature intérieure. Pour cela, la première étape est de revenir au moment présent. En revenant au moment présent, nous cassons les chaînes qui nous emprisonnaient dans les regrets ou les peurs du passé et les appréhensions du futur et redevenons pleinement vivant. Dès lors, nous pouvons porter un regard neuf sur la vie, un regard plus tranquille. Ce regard va nous permettre de nous libérer des concepts et des illusions, fruits de la vision dualiste propre au rêve de l'esclave. Dans le rêve de l'esclave, dans le rêve de la souffrance, il y a un moi séparé du reste de l'Univers à protéger ou à martyriser, qui se doit de devenir le meilleur, de rentrer dans les normes, de réussir, d'être productif et efficace. Lorsque nous nous éveillons, nous comprenons vite que le monde n'est pas duelle et que ces pensées nous limitent en nous faisant devenir quelqu'un que nous ne sommes pas.

Dès lors, nous pouvons faire le tri dans les accords que nous avons passé avec nous-même et transformer notre rêve, en redevnir le maître. Nous pouvons nous détacher des concepts qui ne sont que des cartes décrivant un territoire et non le territoire lui-même. Il devient possible d'apprendre à écouter le rêve des autres tout en restant assez sceptique pour offrir à notre esprit et notre coeur ce qui lui sera bénéfique et d'écouter sans prendre pour soi la souffrance ou les croyances d'autrui.

C'est là ce qui permet au thérapeute, quelque soit sa tradition, de véritablement aider un patient. Dans la société, une telle position à l'échelle collective aurait un impact crucial. En adoptant une vue non-dualiste, les experts et les autorités redeveniennent à nos yeux ce qu'ils ont toujours été: des hommes commes les autres ayant une expérience de vie dans un domaine particulier et un rêve qui leur est propre et non des détenteurs de vérités absolues valables pour toute l'humanité. "Sur le plus haut trône du monde, on n'est jamais assis plus haut que sur son cul" disait Montaigne.

La pyramide sociale plaçant les élites au sommet et le peuple en bas s'effondre naturellement à partir du moment où l'on regarde les soi-disant maîtres comme de simples êtres humains dont la seule force réside dans le fait que des personnes se pensent inférieures. Un dictateur ou un général sans soldats est juste une personne déguisé bizarrement et criant fort dans le vent.

Revenir au moment présent et se libérer des concepts et accords erronés nous font renouer avec la bonté et la sagesse naturelle, la petite étincelle divine ou le Bouddha qui est en chacun de nous. En nous éveillant et en cassant l'ordre nous entrons naturellement sur la voie de l'amour inconditionnel de la connaissance intuitive. Nous créons notre vie avec amour et cultivons cette énergie pour le faire rayonner autour de nous, sur tous les êtres et tout ce qui est.

Nous créons ainsi un paradis sur Terre, une Terre Pure de Bouddha. Libérés des concepts, nous nous ouvrons à la connaissance intuitive des choses et parvenons à utiliser les concepts en tant convention de langage pour décrire la réalité que nous créons et vivons, sans que notre esprit en soit prisonnier. C'est la paix intérieure qui s'installe, première pierre de la paix extérieure. Léo Ferré ajoutait "casser le désordre [...] et lui mettre une grande barbe".

Casser le désordre signifie simplement ne pas remplacer l'ordre ou le système dont on s'est libéré par un autre ordre équivalent. Cela signifie aussi de ne pas faire du désordre un nouvel ordre: la révolution ne consiste pas à casser l'ordre pour aboutir au chaos, à l'anomie où règne la loi du talion. Une fois l'ordre et le désordre cassés, nous nous accordons simplement avec la vie elle-même. C'est la principe du wuwei. On traduit souvent ce terme chinois par non-agir mais il signifie en réalité agir en accord avec l'ordre naturel, la loi de l'Univers.

2.S'éveiller à la vie grâce à la roue de la médecine

Maître Mikao Usui, le fondateur de ma lignée, disait "c'est en observant la nature que l'on s'éveille". Pour comprendre l'ordre naturel, le fonctionnement de l'Univers, les chamans des temps anciens ont mis au point à force d'observation des schémas, des représentations analogiques et sacrées de tout l'Univers et des pratiques chamaniques associées à la tradition. Nous appelons ces schémas des roues de la médecine. Il en existe différentes formes selon la culture, l'époque ou la tradition du pratiquant mais toutes ont le même message. Dans le chamanisme Ekayana, on se sert d'une roue de la médecine à 10 directions qui synthétise les différents schémas d'Orient et d'Occident, ce qui nous permet de faire plus facilement le pont avec les autres lignées et d'intégrer de façon très naturelle des pratiques comme le reboutage, l'acupuncture ou les yogas tantriques indo-tibétains. Que nous révèlent les roues de la médecine?

La première révélation est l'unité de toute chose: tout est un et un est tout. Il est écrit dans le Sutra du Cœur que le vide est la forme et que la forme est le vide. Tout est vide d'essence propre car tout n'est qu'émanation et agrégats. Parce que tout est vide d'essence propre et en mouvement apparent, tout est impermanent, tout est processus. C'est la raison pour laquelle le bouddhisme et le chamanisme nous enseigne le détachement vis-à-vis des concepts et vues dualistes tels que le soi et le non-soi. Il n'y a ni soi, ni non-soi, il n'y a que transformation, que vie. Ainsi, dans le chamanisme hindou, le pratiquant recherche l'union entre la réalité intérieure (atman) et la réalité extérieur (Brahman), dépassant ainsi le personnel et l'impersonnel.

La deuxième chose que nous montre la roue de la médecine est que les contraires sont complémentaires: chaud et froid, obscurité et lumière, visible et invisible... Ces polarités sont là pour mettre en mouvement la force vitale. La vie n'est que mouvements et transformations perpétuelles. C'est la raison pour laquelle nous parlons aussi de dualité dynamique de l'Univers. Autour du yin et du yang de la roue de médecine taoïste sont dessinés trois cercles symbolisant les trois pures ou trois trésors et les trois mondes.

Les trois Pures sont le Shen, le Qi et le Jing, qui correspondent aux trois centres énergétiques du corps. Le Shen correspond au tan-tien supérieur relié au troisième oeil, au coronal et à toute la tête relie le Qi universel par la force de l'esprit. Le tan-tien median est relié au coeur et aux organes par la force naturelle de l'âme, le Qi, à la fois force vitale et principe organisateur circulant en toutes choses et les interconnectant. Le tan-tien inférieur situé entre le nombril et les reins relie le corps physique, l'énergie sexuelle et la Terre-Mère par la force du Jing qui donne une cohésion à ce qui est d'ordre physique. Sur le plan du microcosme, les trois pures symbolisent les trois mondes dans lesquels le chaman voyage : le monde du haut avec notamment les guides et maîtres spirituels, le monde du milieu (le nôtre avec sa partie visible et invisible) et le monde du bas avec les animaux de pouvoir et nombre d'autres dimensions.

Cette partie de la roue de la médecine rappelle que l'homme n'est qu'un grain de sable dans le vaste Univers et fait partie intégrante de la nature. Il lui est donc impossible de la dominer à tout prix. Il ne peut que évoluer en son sein. Parce que les êtres sont des microcosmes, des miniatures du macrocosme, nous pouvons aussi comprendre que tout l'Univers se retrouve en chaque être et en chaque chose. C'est le principe de la monade de Leibniz ou du filet d'Indra dans le bouddhisme: chaque grain de sable contient en lui l'infinité de la vie. C'est là la troisième vérité révélée par la nature et la roue de la médecine.

La nature nous apprend que tout est programmé dans l'Univers pour s'autoréguler. Cela est très visible dans les roues de la médecine. Dans la roue taoïste sont clairement représentés les cycles ko et chenn, les cycles d'engendrement et de domination/régulation. Autour du feu primordial sont disposés le bois, le feu, la terre, le métal et l'eau. Chaque élément engendre et nourrit l'élément suivant dans le cercle pour en éviter la carence et en régule un autre afin d'en éviter l'excès, la bonne santé et l'harmonie résultant du juste équilibre des éléments (un point commun pour toutes les roues de la médecine, quelque soit la tradition). Ainsi, l'eau nourrit le bois et apaise le feu. Ce système analogique n'a rien de farfelu et est le fruit du bon sens de la nature. En cas de grosse fatigue et de stress intense aggravés par le froid, notre corps développe le rhume et la fièvre pour évacuer les toxines, se nettoyer et se rééquilibrer: il se met au repos et se réchauffe pour contrer le trop plein d'activité et de froid.

Je vous encourage pour le reste à regarder comment une forêt s'aurégule sans l'intervention de l'homme. Cela est encore la source d'inspiration pour les partisans de l'agriculture sauvage et de la permaculture. La roue de la médecine montre que l'Etat et les sociétés hiérarchisées n'ont rien de naturel. Espérer pouvoir contrôler ce qui est naturel, avoir un quelconque pouvoir ou une quelconque autorité ou un quelconque droit d'exploitation sur autrui ou sur la Terre-Mère est illusoire. Ce désir relève de l'ignorance, de l'attachement voire de l'avidité et peut conduire à l'aversion, à la jalousie et à la guerre.Lorsque nous nous éveillons à la vie, nous voyons que nous ne sommes qu'un et que l'harmonie n'est possible que si nous nous accordons avec notre véritable nature, avec le rythme de l'Univers, et qu'il est parfaitement impossible de régner sur quoi que ce soit.

Nous voyons aussi que rien ne nous appartient vraiment. Les terres où nous vivons et la vie elle-même nous sont prêtées et nous en venons forcément à les rendre à l'Univers tôt ou tard. Ce sont ces enseignements qui font du chamanisme un anarchisme spirituel.

3.La Révolution en cinq pratiques

La Révolution du Cœur comporte cinq pratiques ou orientations de pratique. Ces pratiques se fondent sur la roue de la médecine et suivent le modèle de la nature. A l'origine, nous trouvons l'absolu ou Grand Esprit, c'est le Tao ou le feu primordial. Il est sans forme et en même temps se trouve partout. C'est à partir de ce feu primordial que les choses se manifestent et c'est à ce feu primordial que ces choses impermanentes reviennent lors de la mort qui n'est qu'un changement de forme ou d'état. De ce feu primordial naît une graine qui, au printemps, va chercher à croître, à germer et pousser (élément bois). En grandissant, la graine donne naissance à un arbre qui, au cours de l'été, va vouloir déployer branches et racines, extérioriser l'énergie de vie qu'elle contenait jusqu'ici en elle pour grandir (élément feu).

Une fois branches et racines déployée, l'arbre voit sa forme se stabiliser, lui permettant de nourrir la Terre-Mère et ses enfants de toutes les espèces. Puis, l'automne arrivant, l'arbre perd ses feuilles et voit son énergie redescendre et revenir à la Terre-Mère (élément métal). L'arbre se prépare alors à l'hiver où il dormira et se régénérera avant de se redéployer au printemps (élément eau).Dans le cadre de la Révolution du Cœur, le pratiquant ou le révolutionnaire est la graine. Le feu primordial est l'étincelle divine en lui ne demandant qu'à s'épanouir librement. Dès lors, à chaque élément correspond une pratique ou une orientation

Le Bois désigne la pratique de la libération intérieure. Celle-ci englobe des outils comme la méditation, l'exploration, les auto-traitements et la pratique de la pleine conscience au quotidien. Cette transformation intérieure impacte le rêve collectif puisque nos changements vont inspirer des transformations chez nos proches, puis leurs proches, et ainsi de suite et ce sans que l'on ait à commander quoique ce soit. C'est ce que nous appelons la propagande par l'exemple. Le bonheur étant contagieux, plus notre éveil et notre joie seront grands plus les personnes qui nous entourent s'éveilleront, à leur manière, en fonction de leur nature et de leur croissance, et connaîtront le bonheur. Nous sommes des super-héros de l'existence et ceci est notre superpouvoir: être heureux et rendre heureux les autres par notre simple joie.

Le Feu désigne le refus d'arroser les mauvaises graines pour pouvoir s'épanouir. La pratique du Feu n'est pas une pratique de la violence. Nous ne faisons pas la guerre et ne prenons pas les armes. C'est le refus de nourrir les choses allant à l'encontre de l'éveil et de la liberté. Cela passe par la recherche de l'autonomie, de l'autogestion (à ne pas confondre avec l'autarcie comme nous l'avons vu au chapitre précédent). Moins nous dépendons du système et moins nous le nourrissons. C'est là du bon sens. La libération est le fruit du satori (l'éveil) ou de l'anshin ritsumei (la grande paix du cœur). C'est ce que permet la pratique des cinq préceptes d'Usui Sensei :

Juste pour aujourd'hui

Sois libre de toute colère

Sois libre de toute pensée

Dans la gratitude

Travaille avec diligence

Et sois bon envers tout ce qui vit.

Ces préceptes constituent la pratique de la Terre, l'élément qui permet la stabilisation et qui donnera un code de conduite, une forme à l'élan d'énergie libéré par le Bois et le Feu. Ces préceptes apportent la guérison des maux et l'éveil.

Le Bois a posé les bases de notre libération intérieure, nécessaire à la libération extérieure. Le Feu a permis de reconnaitre ce qui entravait cette libération. Enfin, la Terre a défini une direction, un chemin à suivre pour atteindre cet éveil, cette libération. A présent, il ne reste plus qu'à créer les structures d'autogestion (à ne pas confondre avec l'autarcie) accompagnant la vie sobre et heureuse découlant de cette émancipation. C'est à l'élément Métal que revient cette tâche. La pratique du Métal est la pratique de la structuration d'un projet, de la construction. Nous ne sommes plus dans l'introspection (Bois) ou le débat (Feu) ni la mise en forme (Terre) mais dans l'action. C'est le moment de la reconquête de notre liberté extérieure.

Le bois est la volonté de s'éveiller. Le feu est le refus d'arroser les mauvaises graines. La terre est la pratique des cinq préceptes et du code de conduite amenant à l'éveil. Le métal est la mise en place de structures favorisant une vie sobre et heureuse. Vient alors l'eau qui consiste à arroser les bonnes graines afin de pérenniser la Révolution du Cœur, de rendre la libération basée sur la roue de la médecine durable. La pratique quotidienne de la voie de l'aventurier est déjà une bonne façon de pérenniser la Révolution du Coeur. Permettre à nos enfants de grandir sans les domestiquer, en les laissant s'épanouir naturellement, est une autre façon de faire. La Terre nous est prêtée par nos enfants. Nous plantons des graines pour le monde de demain mais ce sont eux qui le construiront.

Nous avons présenté dans ces trois premiers articles la Révolution du Cœur, un remède issu du chamanisme Ekayana pour les rêveurs de cette époque. Nous avons dressé un diagnostic en observant le rêve de la société et le système de Laputa. Cette réflexion nous a révélé les causes de ce rêve de souffrance en montrant les principaux accords erronés dont il fallait se défaire pour changer le rêve de la société: casser l'ordre et le désordre, l'autorégulation, etc... Enfin, nous avons abordé les cinq pratiques de la Révolution du Cœur. Dans le Tao-Te-King, Lao-Tseu nous dit:

L'être humain se modèle sur la Terre

La Terre sur le Ciel

Le Ciel sur la Voie

Et la Voie demeure naturelle

L'éveil spirituel en chamanisme consiste à lâcher-prise, à revenir au présent, à renouer avec le rythme de la nature et à prendre la Terre-Mère pour modèle. La Révolution du Cœur n'est que la reformulation moderne de cet enseignement plusieurs fois millénaire désormais. Si nous pratiquons ensemble, nous pouvons créer un rêve de paix et de bonheur collectif, un paradis sur Terre. Les articles à venir serviront de boîte à outils et sont complémentaires aux livres gratuits du site www.chamanisme-vivant.webnode.fr et aux pratiques proposées en séance de méditation et en cérémonie.

A dream you dream alone is only a dream.

A dream you dream together is a reality.

John Lennon